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L'insurrection des esclaves du Carbet

Le 12 octobre 1822, une trentaine d'esclaves se réunirent à six heures du soir sur l'habitation de monsieur Fizel, fixée pour le point de rendez-vous. De là, armés les uns de fusils, les autres de coutelas, ils se mirent en marche pour l'habitation Ganat qui est située plus avant dans les hauteurs. Ils assassinèrent l'habitant. Ils parcoururent ensuite plusieurs autres habitations voisines, ralliant les esclaves qui étaient dans le complot, forçant les autres à les suivre. Ils blessèrent sept autres personnes . Ils revinrent ensuite sur l'habitation Fizel. Ils égorgèrent le propriétaire. Les révoltés s'emparaient des armes et des munitions qu'ils trouvaient sur les habitations. Cependant, quelques esclaves des habitations voisines où les crimes se commettaient prévinrent leurs maîtres de ces assassinats. L'alarme se répandit promptement dans la paroisse du Carbet. Elle s'augmenta de l'obscurité de la nuit et de l'arrivée au bourg des familles des hauteurs, fuyant, et surtout des blessés qu'on y transportait.

Le Commandant de la place et le Gouverneur du Roi de Saint-Pierre furent prévenus de la révolte à deux heures du matin par Monsieur Oesmangles qui doit son salut à un de ses esclaves. Le Commandant fit doubler les postes et commander des piquets et des patrouilles pour le maintien de la tranquillité dans la ville . La gendarmerie monta à cheval aussitôt et Monsieur de Champvallier partit avec elle pour le bourg du Carbet afin d'y prendre des informations précises sur les événements. A son arrivée, il acquit la certitude de la révolte et des massacres et revint en ville pour m'en rendre compte de suite.

La gendarmerie se rendit avec Monsieur Coqueran, Commissaire-commandant de la paroisse sur les hauteurs où la révolte avait commencé. Ils arrivèrent à six heures du matin à l'habitation Fizel où ils trouvèrent cet habitant qui venait d'être égorgé. Mais, à la vue de la gendarmerie et de quelques détachements de dragons et d'infanterie de milices du Carbet qui s'étaient portés sur ce point, les assassins prirent la fuite et se réfugièrent dans les ravines profondes de ces hauteurs escarpées.

Monsieur de la Guigneraye, commandant le deuxième bataillon de milices se dirigea vers ces hauteurs après avoir ordonné aux compagnies de grenadiers, de chasseurs, de voltigeurs et de canonniers-pompiers de son bataillon de le suivre. Lorsque toutes ces troupes de milices de Saint-Pierre et du Carbet furent en position, la révolte fut comprimée. 

Des patrouilles furent lancées à la poursuite des assassins, mais, il fallait craindre des soulèvements sur les grandes habitations. Dans le but de parer à ce type de révolte, les compagnies de renfort, venues du Fort-Royal à Case-Pilote, devaient à partir de cette paroisse « marcher de front » jusqu'au lieu de départ de la révolte au Carbet.

M. de Laguigneray, sur la rive droite de la rivière du Carbet, et M. de Percin, sur la rive gauche, devaient contourner les mutins, les empêcher de gagner les bois et les encercler dans la vallée. Les compagnies de Basse-Pointe et de Gros-Morne furent aussi alertées ; elles devaient bloquer un col au Morne-Rouge. Il fallait également minimiser les faits pour les autres îles. Pourtant, des secours

furent demandés à la Guadeloupe. Toute la colonie était alors au courant; dorénavant, l'apaisement des colons et la méfiance vis-à-vis des esclaves étaient de rigueur. La chasse aux « marrons » battait son plein ; elle fut fructueuse. Très vite, les représentants de l'ordre obtinrent des informations : « D'après les interrogatoires (...), leur projet était effectivement de massacrer les Blancs et les gens de couleur libres sur leurs habitations, de soulever tous les ateliers des environs et de se porter en masse sur la ville de Saint-Pierre (...) ; les Nègres de cette ville devaient se réunir à eux ainsi que tous les grands ateliers du Carbet. » Comme chefs ils désignent quatre principaux nommés Narcisse, Jean-Louis, Pierre et Alexis. Plusieurs coupables ont dit qu'il devait se faire en même temps un débarquement de Saint-Domingue.

La Cour Royale a été convoquée le 22 du mois, l'instruction de la procédure devrait être terminée pour la mi-novembre; le jugement pourra alors être rendu, La Gazette officielle de la Guadeloupe, parue le jeudi 5 décembre 1822, donne un « extrait de l'arrêt de la Cour Royale de l'île Martinique, rendu le 76 novembre 1822, contre les Auteurs, Fauteurs, Complices et Participes de la révolte à main armée qui a éclaté sur plusieurs habitations des hauteurs de la Paroisse du Carbet de cette colonie, et des assassinats qui en ont été la suite (...):

« La Cour déclare les nommés Jean-Louis et Crépin, esclaves du sieur Fizel, Narcisse, esclave de la dame veuve Lévignan, dûment atteints et convaincus d'être les auteurs d'un complot dont le but était de massacrer tous les Blancs et de s'emparer du pays (...), d'avoir tenu des conciliabules nocturnes dans la demeure de Jean-Louis, d'avoir embauché ou fait embaucher les esclaves de plusieurs ateliers du quartier du Carbet en leur promettant la coopération générale des esclaves de la Colonie (...) et le secours d'une force étrangère; d'avoir, dans la nuit du 12 au 13 octobre dernier, donné suite à leurs projets (...), d'avoir marché à la tête d'une troupe d'esclaves révoltés et de s'être successivement portés sur les habitations Ganat aîné, Poulain, Lévignan, Sainte-Rose Guilhert, Robert, Desmangles, Jorna et Fizel où ils ont ordonné et fait commettre bon nombre d'assassinats (...), d'avoir sur leur passage cherché à soulever tous les ateliers par la force ou la persuasion (...).

« Les nommés Narcisse (...), Edouard (...), Isaac (...), Joachim dit Banguio (...), Ignace (...) atteints et convaincus d'être (...) les auteurs des massacres, d'avoir égorgé les sieurs Ganat et Fizel et mutilé leurs cadavres, menacé et mis en fuite le sieur Poulain, assassiné la dame veuve Lévignan, le sieur Lévignan fils, le sieur Robert, le sieur Fizel fils, le sieur Monteuil-Laugier, Pierre-Nicolas et Louisia, ces deux derniers de couleur libres (...).

« Déclare les nommés Jean et Régis (...), Philippe (...), Maximin dit Balizier (...), Joseph dit Chat (...), Ferdinand(...), Sévérin et Sylvestre (...), Michel(...), André (...) dûment atteints et convaincus d'avoir fait partie du rassemblement armé, d'avoir coopéré aux divers assassinats (...), d'avoir en outre tenté d'entraîner dans la révolte les ateliers des habitations par lesquelles ils passaient (...).

« La Cour condamne (...) Jean-Louis, Crépin, Narcisse, Edouard, Isaac, Joachim dit Banguio et Ignace (...) à être tirés de prison et conduits par l'exécuteur des hautes oeuvres au lieu ordinaire des exécutions de cette ville de Saint-Pierre, revêtus d'une chemise rouge et la tête couverte d'un voile noir pour y avoir le poing droit coupé et, ensuite, la tête tranchée, leurs corps exposés pendant quatre heures et, après, jetés à la voirie.

« Condamne (...) Alexis (...), Jean, Régis, Philippe, Maximin dit Balisier, Joseph dit Chat, Ferdinand, Séverin, Sylvestre, Michel (...), André, Julicceur, Marcel et Maximim (...) à être tirés de prison et conduits par l'exécuteur des hautes a.uvres au lieu ordinaire des exécutions de cette ville, pour être pendus et étranglés à une potence qui sera plantée à cet effet, jusqu'à ce que mort s'ensuive, leurs corps exposés pendant quatre heures, ensuite jetés à la voirie. »

Dix autres seront fouettés, marqués à l'épaule des lettres G.A.L. et mis aux galères à perpétuité ; six recevront vingt-six coups de fouet, puis seront remis à leurs maîtres ; huit autres assisteront aux exécutions, puis seront remis à leurs maîtres. Quatorze seront déchargés de toute accusation, relaxes et rendus à leurs maîtres. Quatre esclaves vraisemblablement marrons sont condamnés par contumace. « Plusieurs Nègres de chaque atelier du Carbet, où le crime s'est commis, ont assisté, par ordre, à l'exécution qui a eu lieu le 19 novembre dernier. Des auteurs ou fauteurs de ce crime odieux: deux ont été tués dans les chasses ; deux fusillés par ordre de Monsieur de Percin; un s'est pendu avant d'être dénoncé ; sept ont eu la tête tranchée après a voir eu le poing droit coupé; quatorze ont été pendus; dix fouettés, marqués et mis aux galères en France à perpétuité; six fouettés par la main du bourreau et rendus à leurs maîtres ; et six ont assisté à l'exécution gui avait attiré un grand concours de spectateurs. »

Il est assez surprenant de savoir qu'à l'époque les milices de couleur « ont rivalisé de zèle et de dévouement » tout autant que les milices blanches pour étouffer la révolte et poursuivre les criminels. Le complot semble avoir été longuement mûri, puisqu'il eut lieu en période d'hivernage, défavorable aux Européens et aux troupes frappés de maladies en cette saison.

La révolte du Carbet, vite matée, ne s'est pas répandue dans la colonie, la vigilance des colons étant alors constante. Il est reproché à certains Blancs de parler « imprudemment devant les Nègres et les Négresses des affaires politiques et des discours prononcés dans les chambres sur l'abolition de la traite et sur le sort des esclaves » ; ces propos laissant « des germes de fermentation et l'espoir d'affranchissement ».

Ainsi, se sont achevées au Carbet; vingt-six ans avant l'abolition, les premières velléités de libération